Le système de riziculture intensive: la méthode miracle pour un riz durable et de plus grandes récoltes

Le riz parfumé au jasmin poussant sur le côté du champ de deux hectares de Kreaougkra Junpeng mesure près de 1.5m de haut. Chaque plante à au moins 15 talles, ou tiges, et les grains pendant lourdement à chacune d'entre elles. Le fermier thaï dit que ce sera sa plus grosse récolte en 30 ans et il récoltera quatre semaines plus tôt que d'habitude.

De l'autre côté du champ, cela est très différent. Ici, Jumpeng a planté son riz en des touffes très rapprochées de 20 plants ou plus dans des eaux peu profondes, comme lui, son père et des millions d'autres petits agriculteurs de l'Asie du Sud-Est l'ont toujours fait. Il a utilisé les mêmes graines, pourtant les plantes cultivées de manière conventionnelle sont minces et balayées par le vent, et ont clairement moins de grains, plus petits.


Jumpeng participe à un projet pilote pour voir s'il est possible de faire pousser plus de riz avec moins d'eau et engendrer moins de gaz à effet de serre.


La différence importante entre ces deux cultures pourrait aider les 145 millions de petits riziculteurs du monde et permettrait également de réduire considérablement les émissions contribuant au réchauffement de la planète dues à l'agriculture.

Le système de riziculture intensive: la méthode miracle pour un riz durable et de plus grandes récoltes
Buathong Kukamjad du district de Warin Chamrap avec sa grande récolte de riz au jasmin, cultivé sans inondation du sol. Photo: John Vidal / The Guardian

Le projet est soutenu par les gouvernements allemand et thaïlandais et par certains des plus grands négociants en riz et entreprises agroalimentaires du monde. 3 000 agriculteurs de cette région thaïlandaise proche de la frontière cambodgienne ont été formés à la culture de riz durable selon les principes d’un système agronomique révolutionnaire découvert par hasard à Madagascar dans les années 1980.

Le prêtre jésuite Henri de Lalanié, qui travaillait sur les hauts plateaux avait observé qu'en plantant beaucoup moins de graines qu'à l'accoutumée, et en utilisant de la matière organique comme engrais, puis en maintenant les plants de riz tour à tour humides et secs plutôt qu'inondés, les rendements ont  augmenté de 20 à 200%, tandis que la consommation d'eau a été réduite de moitié.


En donnant plus d'oxygène aux plantes, en minimisant la compétition entre elles et en contrôlant rigoureusement l'apport en eau, cela rendrait les plants plus forts et plus résilients face aux inondations et à la sécheresse.


Lorsque cela a été essayé pour la première fois hors de Madagascar en 2000, le Système de Riziculture Intensive (SRI) avait été rejeté par une poignée de scientifiques qui avaient mis en doute la légitimité des rendements accrus rapportés. Mais depuis, cela a évolué et a été développé par des paysans travaillant dans de nombreux climats différents à travers le monde.

 La critique académique a pratiquement disparu et le système de culture SRI a été validé dans des centaines d'articles scientifiques et adopté par près de 20 millions d'agriculteurs dans 61 pays, selon le centre d'information SRI de l'Université Cornell.

"Les résultats indiquent systématiquement des augmentations de rendement, une utilisation réduite de semences, de l'eau et des produits chimiques et une augmentation des revenus" rapporte Norman Uphoff, professeur d'agriculture mondiale à l'Université de Cornell.

Des agriculteurs vietnamiens, cambodgiens, népalais, philippins, indiens et africains ont tous signalé de fortes augmentations.


En 2011, un jeune agriculteur indien a établi un record de production de riz, récoltant 22 tonnes sur un seul hectare.


"Le SRI est très positif en Afrique de l'Ouest. Il y a moins de semences et d'engrais utilisés, et moins d'eau nécessaire. Les agriculteurs économisent jusqu'à 80% du coût des semences et obtiennent des rendements et des revenus accrus. Ils voient les avantages et ils changent. Maintenant, les gens s’apprennent la méthode entre eux." dit le professeur Bancy Mati, directeur du Centre de Recherche sur l'Eau à l'Université Jomo Kenyatta à Nairobi au Kenya.

Les agriculteurs thaï qui ont participé à l'essai à Ubon Ratchathani sont ravis. D'après Khampha Bunchansee du village Noan Dang: "C'était très facile à apprendre. J'utiliserai l'argent gagné en plus pour investir dans un tracteur. Si je peux le faire, tout le monde peut le faire. Tout le monde peut venir et apprendre."

"J'ai mis plus d'engrais sur ma culture conventionnelle, cela a produit beaucoup plus de feuilles mais pas plus de grain" rapporte Wanna Sriwila du même village, "Maintenant, j'amène d'autres agriculteurs pour qu'ils voient ce qui peut être fait. Voir c'est croire."


Le Système de Riziculture Intensive réduit les émissions de méthane


Mais ce qui intéresse à présent certaines des plus grandes entreprises agroalimentaires et gouvernements du monde, c’est que la culture du riz selon les principes du SRI réduit également considérablement les émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre, qui s'échappe lorsque le riz, ou toute autre culture, est gorgé d’eau pendant des semaines.

Le méthane est environ 30 fois plus puissant que le CO2 en tant que gaz à effet de serre et le riz émet jusqu'à 1,5% des émissions totales de gaz à effet de serre dans le monde.

Alors que la population en Asie du Sud-Est devrait augmenter d'environ 100 millions d'habitants au cours des 20 prochaines années, les émissions provenant de la culture du riz pourraient augmenter de 30% ou plus.

Duangchan Witchalin, gérante agricole. Photo: John Vidal / The Guardian

L'urgence d'agir pour le bien global, l'intérêt personnel dans le maintien de la production et la possibilité d'accéder à de l'argent tout en réduisant les émissions agricoles, a amené les grandes entreprises agroalimentaires utilisatrices de riz comme Mars et Kellogg et le colosse de l’industrie agro-alimentaire Olam à mettre en place la Plateforme pour le Développement Durable du Riz (Sustainable Rice Platform - SRP).

Cette coalition de sociétés, d'ONG et de gouvernements, a établit les premières normes de durabilité volontaires au monde pour la riziculture. Elle adopte les principes de base du SRI consistant à planter des plants plus éloignés et à les maintenir humides plutôt qu’inondés, tout en ajoutant des objectifs et des mesures pour assurer la cohérence.


Le riz est à la fois victime et cause du changement climatique


D'après Sunny Verghese, PDG de Olam basée à Singapour qui cultive son propre riz sur 10000 hectares au Nigéria (il possède aussi des moulins et des usines de transformation dans l’Asie du Sud-Est et expédie près de 20% du riz commercialisé dans le monde entier), "les riziculteurs du sud-est asiatique sont parmi les plus vénérables au monde aux impacts du changement climatique, tels que la hausse du niveau des océans, la salinité, l'augmentation des températures et les sécheresses. Les rendements peuvent diminuer jusqu'à 10% pour chaque augmentation de température de 1°C, menaçant la sécurité alimentaire de milliards de personnes. Avec deux milliards de personnes supplémentaires, nous ne pouvons pas continuer de la même manière. Nous devons aller au-delà de ce qui se fait actuellement et en faire beaucoup plus à grande échelle. Nous devons repenser toute la chaîne d'approvisionnement alimentaire si nous voulons que le monde devienne neutre en carbone d'ici 2050".

"Le système de riziculture intensive devrait influencer la pensée de chacun. Au Nigéria, les rendements ont augmenté de 70%, même si leur base était faible. Le SRI est révolutionnaire. C'est un véritable changement de mentalité. Les scientifiques ont du mal à comprendre qu'un amateur [comme Lalanié] avait trouvé une solution. Nous souhaitons nous associer au SRI pour nous développer en Afrique. Mais réduire les émissions provenant du riz ne peut être un compromis qui va à l'encontre des agriculteurs et des communautés qui en dépendent pour leurs revenus et leur subsistance. Nous devons mesurer le coût réel de la nourriture et démanteler le système de subventions," ajoute Verghese.

Travaillant avec l'agence de développement allemande GIZ, et les gouvernements du sud-est asiatique, Olam envisage maintenant de déployer le riz SRP auprès de 100 000 agriculteurs en Thaïlande, au Cambodge, au Vietnam et en Inde d'ici cinq ans, augmentant ainsi les rendements et les revenus et réduisant les émissions de méthane de 50%.

 Les gouvernements et les organismes mondiaux doivent aussi agir, estime l'agronome tropical Erika Styger, directrice des systèmes agricoles résilients au climat à l'Université de Cornell qui mène une étude de trois ans de la Banque mondiale auprès de 50 000 agriculteurs utilisant les méthodes d'ISR dans 13 pays d'Afrique de l'Ouest.

On voit ainsi une augmentation de 56% des rendements dans les zones irriguées, de 86% dans les zones pluviales et une augmentation moyenne de 41% du revenu.

"La révolution SRI est en cours. Les gens changent leurs pratiques et l'on peut voir le SRI mis en place dans les champs dans de nombreux endroits maintenant. Il n'y a pas de raison que le SRI ne devienne pas une pratique agronomique normale." dit Styger, "cependant, il n'y a pas de financement à long terme. Si nous voulons l’intégrer, il faut atteindre une masse critique. Il ne nous reste que des miettes, avec seulement une recherche de projet à court terme".

"Le système alimentaire est en panne. Olam seul ne peut pas le réparer, nous ne pouvons que le changer. Nous ne pouvons pas le faire du jour au lendemain, mais il existe une nouvelle façon de collaborer. Les entreprises doivent changer et réduire l'intensité de leurs ressources. Tout le secteur alimentaire doit changer", déclare Verghese, "ce qu’il faut maintenant, c’est aux grands détaillants de marquer SRP. C’est ainsi que nous pouvons réduire les émissions, utiliser moins d’eau et faire pousser davantage."



Liens:

Source:

Derniers articles concernant le riz:

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le riz de la mer: comment un petit grain pourrait changer la façon dont l'humanité pourrait se nourrir

Des changements agricoles urgents pour sauver la biodiversité

Des mini-forêts à croissance rapide surgissent en Europe pour aider le climat et la biodiversité