Montado: le système de production radical qui mise sur les arbres


Les terres situées au nord du village de Foros de Vale Figueira, dans le sud du Portugal, ont été possédées et cultivées au cours des siècles par des romains, des maures, des chrétiens, des capitalistes, des extrémistes de droite et même des militaires. Elles faisaient partie d'un fief privé, travaillé par des esclaves aussi bien que par des communistes.

Aujourd’hui, cette parcelle de terrain de 100 hectares semble épuisée: une grande prairie vide, sans arbres, ni gens, ni animaux, qui se se flétrie sous un soleil ibérique cuisant. Mais lorsque l'on y regarde de plus près, on peut apercevoir le futur: des milliers de minuscules chênes et noisetiers poussant à travers un épais paillis d'herbes et de feuilles.

Montado le système de production radical qui mise sur les arbres
Les animaux sont libres de se promener à l'ombre des arbres et des arbustes dans une ferme coopérative au Portugal. Photo: Ricardo Lopes/The Guardian 

"Ce sera le nouveau montado" dit Alfredo Cunhal, faisant référence au système agricole portugais pré-médiéval. C’est un scientifique agricole dont l’arrière-grand-père a défriché les chênes lièges et les oliviers qui étaient autrefois éparpillés sur le terrain, et dont la famille a ensuite surchargé les terres en les gavant de produits chimiques et en cultivant des monocultures de céréales.


Le système montado combine des troupeaux d'animaux avec des arbres et des arbustes productifs.


La vision de Cunhal est de créer une abondance de style oasis sur des terres où il n’y a souvent pas de pluie pendant neuf mois de l’année et où les températures peuvent atteindre 49° : "Imaginez de grands arbres, comme des noyers de 40 mètres, déposant des feuilles, laissant passer la lumière, puisant de l'eau. Au-dessous d’eux, des chênes-lièges procurant de l’ombre et une rangée d’agrumes et d’oliviers; et puis imaginez des vignes grimpant aux arbres. Les fruits et les noix fourniront de la nourriture aux porcs, aux poules, aux vaches et aux autres animaux qui y paissent, " dit-il, "les animaux sont la clé. Ils sont importants pour l’ensemble de l’écosystème et font partie de la chaîne alimentaire. Ils doivent être équilibrés avec l'ensemble des arbre. Les porcs assurent la digestion et sont bons pour le sol, ils remuent le sol et le fertilisent. Les cycles naturels de fertilité fonctionnent mieux avec eux. Le cochon n'est pas une machine à viande, mais un ami de la nature."

Le "nouveau montado" à la ferme Herdade do Freixo do Meio prendra des années pour arriver à maturité mais il sera remboursé plusieurs fois avec la variété d'aliments produits et des sols plus sains: "Cela offre une résistance aux incendies, au réchauffement mondial et absorbe le carbone. Nous cherchons à passer de rien à l'abondance en quelques années. Nous pourrons mettre les poulets sur le sol bientôt, les cochons et les moutons suivront, les vaches viendront plus tard. Nous investissons maintenant et la prochaine génération verra les avantages réels." dit-il.

Cunhal, issu d’une grande famille de propriétaires terriens liée au légendaire leader communiste portugais Álvaro Cunhal, raconte qu’il a dû rejeter une grande partie de ce qu’on lui avait appris sur l’agriculture au collège: "J'ai passé cinq ans à étudier l'agriculture et je n'ai jamais entendu le mot écologie. Nous prenions de plus en plus de terres mais nous cultivions des monocultures. Nous mangions le système. Je gérais 7 000 hectares pour ma famille mais je n'ai jamais remarqué les arbres. Je ne savais vraiment rien. J'ai beaucoup produit mais j'avais besoin de tant d'intrants. J'avais besoin de carbone, d'énergie, de produits chimiques. Je ne pouvais rien faire efficacement. La terre s'est érodée, le sol endommagé."

Démoralisé, il a abandonné la gestion du domaine familial en 1990, puis il a pris une partie des terres et a commencé à exploiter 600 hectares en culture biologique et coopérative, avec un groupe de 35 personnes, dont beaucoup travaillaient dans la propriété depuis des années.

Ensemble, ces "partenaires" convertissent toute la ferme en système entièrement montado. Les résultats commencent à être visibles. Le sanglier, le lynx et le cerf se promènent librement, tandis que d'anciennes variétés de porcs, de bovins, de poulets et de dindes alternent entre les chênes et les oliviers déjà établis et dans les vergers nouvellement plantés. La ferme cultive presque tous les types d'aliments méditerranéens parmi les arbres, ainsi que 40 variétés de fruits et de noix.


Faire pousser de l'eau.


"Nous pouvons faire pousser de l'eau" dit Cunhal, "en plantant des arbres dont les racines s'enfoncent profondément, nous aspirons de l’humidité et construisons des sols, offrant ainsi la possibilité de faire pousser encore plus".

La complexité du système déconcerte les agriculteurs conventionnels qui se spécialisent principalement dans une poignée de cultures ou de produits. Mais Cunhal considère les monocultures comme «la fin de la vie» et insiste sur le fait que la diversité apporte résilience et sécurité. La variété de nourriture produite est impressionnante.

Toute la communauté de Herdade do Freixo do Meio a son mot à dire sur la façon dont elle est gérée. Photo: Ricardo Lopes/The Guardian

L'exploitation fait pousser des dizaines de fruits et légumes et fabrique et vend 600 produits différents, cela va de huit sortes de farines et de pains de chêne, à la viande, au vin et aux huiles d'olive: "C’est bien plus que ce qu’une ferme normale pourrait envisager. C'était une ferme de chênes-lièges. Le liège ne représente plus que 5% du chiffre d'affaires. Il y a quatre ans, nous dépendions à 100% du marché libre et des grossistes. Aujourd'hui, près de 50% de ce que nous cultivons est vendu directement aux consommateurs. Nous avons une boucherie, une boulangerie, une presse à huile d'olive, un fumoir," dit-il.

Un système mondato demande aussi une nouvelle approche sociale: "Il n’est pas normal qu’un système agricole aussi complexe soit géré par une seule personne. Cela est bien mieux qu'une communauté entière s'investisse dans son fonctionnement. Au final, nous voulons que les consommateurs fassent aussi partie de la ferme", ajoute Cunhal qui a l'intention de remettre éventuellement les terres à la coopérative.


Un système résilient


"Cela fonctionne car les risques et les bénéfices sont partagés. Ensemble nous sommes résilients aux chocs. Nous employons plus de personnes. Nous produisons de la variété. C'est une approche différente. C'est passionnant. C'est le lieu de rencontre entre les arbres, les cultures et les animaux" dit Ricardo Silva, un biologiste de formation qui est passé à la foresterie avant de venir à Herdade do Freixo do Meio, "les résultats se mesurent non seulement en profits, mais aussi en bénéfices sociaux et écologiques. Nous ne pouvons pas dire exactement, mais notre hypothèse est que nous pouvons doubler, voire tripler la production sans nous soustraire à la terre".

Il y a 20 ans, une approche comme celle-ci aurait été considérée comme marginale, voire comme une expérience écologique menée par de riches propriétaires terriens. Mais cette perception évolue rapidement à mesure que les besoins de l’environnement sont reconnus, ajoute Patrick Caron, président du Groupe d'experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition de l’ONU (High Level Panel of Experts/HLPE) et ancien directeur du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), "nous avons besoin de transformer nos systèmes alimentaires. Cela n'implique pas un retour à la façon dont nos grands-parents cultivaient, ce serait une catastrophe, mais nous devons faire le point sur les principes de ce qu’ils faisaient et sur leurs connaissances. Le changement est en train de se produire. Les grandes entreprises le savent aussi. L'industrie de la viande riait, mais maintenant, elle se prépare au changement. Il est possible de passer de la production de masse à la qualité".

"Les agriculteurs ont commencé à être fascinés par les balbutiements technologiques au cours des années trente. Ils ont essayé de tout simplifier." dit Patrick Worms, conseiller principal en politique scientifique au Centre mondial d'agroforesterie, "ce que Cunhal est en train de faire est à l'opposé: utiliser plus d'animaux, faire pousser plus de variétés de cultures, rendre tout plus complexe. Il est soutenu par la science qui montre que l'on obtient une production beaucoup plus grande lorsque l'on mélange les choses, et lorsque les animaux et les plantes interagissent."


Des études du monde entier montrent toutes de manière concluante que l'interpénétration des arbres, des animaux et des cultures peut stimuler la production alimentaire, mais également construire des sols, augmenter la biodiversité et séquestrer le CO2 de l'atmosphère.


"L'agroforesterie n'est pas un no man's land entre la forêt et l'agriculture" dit Maria Helena Semedo, directrice adjointe de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, "Nous savons que cela peut aider à diversifier et à maintenir la production alimentaire et à apporter des avantages sociaux, économiques et environnementaux essentiels à la terre."

Mais alors même que scientifiques et décideurs prennent conscience du potentiel du sylvopastoralisme à la fois comme meilleur moyen de produire de la nourriture et comme moyen de réagir à la crise climatique, la rapidité et l'ampleur du changement défient l'exploitation: "Nous sommes plus résistants au climat que nos voisins qui exploitent de manière conventionnelle, mais, avec une augmentation de la température de 3°C, cela signifie que tout est perdu. Des températures plus élevées et plus extrêmes constituent une menace de mort pour les animaux. La terre va partir en désertification. Je suis vraiment inquiet. Je ne doute pas que la crise climatique est en cours. Je la ressens tous les jours… Nous avons des étés plus irréguliers et la température augmente chaque année" dit Cunhal.

Il est l'un des huit Européens qui tentent de poursuivre l'UE en justice pour ses politiques en matière de changement climatique, jugées inadéquates. "Nous avons eu 49°C l'année dernière. Nous sommes habitués à 43°C. En 2017-2018, nous avons connu une sécheresse de huit mois. Puis à la mi-décembre, nous avons reçu 100 mm de pluie en deux heures. J'ai vécu ici pendant 30 ans. C’est devenue imprévisible; nous risquons d'arrêter presque tout le processus biologique."

 Sauf catastrophe, Cunhal dit qu'il continuera à planter des arbres et à élever des animaux: "Nous ne voulons pas d’un mètre carré sans ombre. Nous devons traiter la ferme comme un bien commun. La satisfaction est de créer quelque chose de beau. Je veux quitter un paysage où tout le monde, les humains et les animaux, se sentent bien."


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