L’effet papillon: ce que le retour miraculeux d’une espèce peut nous apprendre

Giles Wood marque une pause dans sa promenade à la recherche de l'insaisissable duc de Bourgogne: "Regardez ce champ hideux de colza, dit-il, en regardant dans les Wiltshire Downs au-dessus de la vallée de Pewsey. Pour un artiste celui ruine deux semaines pendant l'été."

Ce vaste domaine pose un autre problème que le peintre, environnementaliste, connait bien. En dépit des hectares de fleurs contenant du nectar, il n'y a aucun insecte en vue. Wood, qui aime les papillons, se désespère: "Ce à quoi je m'oppose vraiment, c'est la fréquence des pulvérisations d'insecticides. Il pénètre partout, même dans la graisse des phoques de l'Arctique."

Un papillon du duc de Bourgogne sur des primevères dans le Hampshire. Photo: Cephas Picture Library / Alamy Stock Photo

Wood espère trouver "le Duc", un petit insecte doré qui, il y a sept ans, était en voie d'extinction en Grande-Bretagne. En 2012, on le trouvait dans 160 colonies. Cela peut sembler beaucoup, mais 60% d’entre elles comptaient moins de 10 papillons et l’espèce avait disparu d’au moins 260 sites depuis 1980.


Les experts en extinction observent comment les espèces menacées entrent dans une sorte de spirale de la mort au cours de leurs dernières années, en proie à la maladie, au dérèglement climatique, etc.

Et le duc, dont sa distribution a chuté de 84% depuis les années 1970, a bien connu cette spirale infernale.

Il n'y a pas de lien direct entre les champs de colza et le déclin du duc, mais le symbolisme est fort.

Le terme "Insectageddon" est entré dans le vocabulaire populaire, décrivant la perte terrifiante de la vie des insectes dont dépend en fin de compte le réseau complexe de la vie sur Terre.

Une enquête sur les réserves naturelles allemandes a révélé que l'abondance d'insectes volants avait diminué de 76% en 27 ans, ce qui avait conduit à des avertissements d'un «Armageddon écologique». Une analyse d’études mondiales a suggéré plus tôt cette année que plus de 40% des espèces d’insectes sont en déclin.

Bien que certains scientifiques ont critiqué cette étude car trop imprécise, il existe de nombreuses données précises sur les papillons britanniques, qui font l'objet d'une surveillance scientifique depuis 1976.

L'agriculture chimique et la dégradation du climat sont de plus en plus reconnues comme les principaux moteurs du déclin: le nombre d'espèces de papillons répandues a diminué de 58% sur les terres cultivées en Angleterre entre 2000 et 2009, malgré un doublement des dépenses de conservation.


Cependant, au cours des dernières années, le duc a fait un retour miraculeux. 


Plus exactement, il s'est relancé grâce à l'action humaine. L'été dernier, il a augmenté de 65%. Ce n’était pas une fluctuation saisonnière: le papillon a rebondi dans le Kent, dans le Sussex et est en plein essor dans le North Yorkshire, où sa tendance à long terme est en hausse de 71%.

"C'est une espèce qui revient de loin," dit Dan Hoare du Butterfly Conservation, "Nous avons stoppé le glissement vers l’extinction et, dans certains paysages, il est véritablement rétabli."

Hoare, directeur de la conservation du Royaume-Uni auprès de cette petite organisation caritative, a dirigé un programme visant à mettre fin à l'extinction de l'espèce en Grande-Bretagne.

Les chenilles du duc mangent des fleurs sauvages communes, des colchiques ou des primevères, mais le papillon est étrangement difficile: il n’aime pas les grands espaces privilégiés des papillons les plus courants, ni ne prospère dans les forêts denses. Cela nécessite donc des prairies et des broussailles légèrement pâturées, ou des forêts recépées.

Les scientifiques de la conservation ont commencé à sauver le duc en évaluant d’abord les raisons de sa disparition: 57% des extinctions étaient causées par un «manque de gestion», c'est-à-dire, des forêts trop ombragées ou des prairies trop défraîchies. Cependant, 27% des extinctions ont été causées par une «gestion excessive»: prairies trop pâturées ou débarrassées des broussailles. Ironiquement, ces nettoyages ont souvent été financés par des programmes de conservation bien intentionnés visant à garantir que les prairies calcaires riches en fleurs restent exemptes d'arbustes et d'arbres.

Comme le dit Hoare: "Le duc n’aime pas la façon dont notre effort de conservation est financé, avec des subventions accordées tous les 10 ans pour tout nettoyer en une seule fois. C’est désastreux: les ducs veulent que les broussailles soient enlevées régulièrement et en petit nombre."

«Après la sécheresse de l’été dernier, les plantes alimentaires des chenilles ont fané et j'avais prédis toutes sortes d’horreurs pour cette année. Et pourtant, j'ai d'excellents chiffres», rapporte Dave Wainwright, qui coordonne les efforts du Butterfly Conservation.

Les efforts visant à sauver les ducs du Yorkshire ont commencé au début des années 2000, avec des zones de broussaille d’aubépine nettoyées sur des vallées escarpées afin de créer une mosaïque de prairies riches en colchiques. Les bois ont également été recépés.

La clé, explique Wainwright, a été de relier l'habitat existant avec de nouveaux lieux. Les bénévoles ont aussi été très importants, surveillant les chiffres pour voir où la gestion fonctionne et où elle ne fonctionne pas.

Esme Walton, 80 ans, de Helmsley, Nord du Yorkshire, rencontra un jour le duc alors qu’il se promenait; depuis, il enregistre ses chiffres toutes les semaines de l'été dans le cadre du programme national de surveillance des papillons au Royaume-Uni. Les données collectées par Walton et d'autres ont révélé que le duc se déplace maintenant vers de nouveaux endroits de prairies broussailleuses.


Cette conservation «à l'échelle du paysage», créé des corridors permettant à la vie sauvage de se répandre est un cas typique de conservation contemporain, et  l'expansion du duc est la preuve que cette connectivité fonctionne réellement.


Les corridors du nord Yorkshire, du Sussex et du Kent sont utilisés pas ces animaux difficiles. Cette approche à l'échelle du paysage aide aussi le duc et d'autres espèces à s'adapter à la crise climatique.

Les périodes de sécheresse menacent le papillon en provoquant le flétrissement et le dépérissement des primevères avant que les chenilles ne puissent se nourrir jusqu'à maturité. L’été dernier en était un exemple classique: les œufs pondus sur les pentes plus chaudes exposées au sud ont échoué avec la mort des plantes. Mais comme les papillons ont également pondu sur des pentes plus froides exposées au nord et à l'ouest, leur progéniture s'envolera à nouveau cette année.

"La "Résistance au climat" est du bon sens dans un programme de conservation" dit Hoare, "Nous anticipons d'avantages de phénomènes météorologiques extrêmes, et le seul moyen d’y remédier est de constituer des populations nombreuses et bien connectées, capables de se déplacer et de réagir."


La renaissance du duc est peut-être encourageante, mais pouvons-nous vraiment arrêter l'insectageddon espèce par espèce ?


Phoebe Miles, écologiste de Natural England travaillant sur le programme Back from the Brink, qui cherche à sauver 20 espèces menacées et leurs paysages, y compris le duc, explique que certaines espèces déclenchent des réactions émotionnelles dans le public ce qui provoque des financements, du bénévolat et d'autres actions.

"On se concentre beaucoup plus sur le duc de Bourgogne, magnifiquement nommé et magnifique par nature, plutôt que sur, par exemple, le pourpier à feuille fine, qui bénéficierait également de la restauration de son habitat de prairies calcaires" dit-elle "La conservation d’une seule espèce nous permet de nous accrocher aux émotions humaines, qu’il s’agisse de regarder un duc de Bourgogne se promener de fleur en fleur ou d’empathie et de pitié pour la mousse du sentier des Cornouailles, qui ne subsiste que sur deux sites de Cornouailles (environ 0.16Km²) et nulle part ailleurs sur terre. Bien que ce ne soit ni beau ni charismatique, la valeur absolue et l’humilité de la lutte désespérée de la mousse pour la survie pourraient bien gagner notre affection et enflammer notre devoir de prendre soin d’autres plantes et animaux silencieux"

De plus, comme le fait remarquer Miles, chaque effort de conservation d'une espèce en a aidé d'autres, depuis la résurrection du bruant zizi par la Royal Society for the Protection of Birds (RSPB), ce qui a également profité aux alouettes et aux linottes, jusqu'au sauvetage du tétras des armoises aux États-Unis et au Canada.

Ce projet mono-espèce a permis de sauver l'armoise, l’une des plus grandes communautés d’espèces de l’ouest des États-Unis et a amélioré le sort d’autres espèces en déclin, telles que le cerf mulet (ou cerf hémione) et le bruant des armoises.

Les pipits des arbres ont bénéficié des travaux de conservation pour le duc. Photo: Arterra Picture Library/Alamy Stock Photo 

Le travail pour sauver le duc a aussi profité aux papillons Hespérie de la mauve, Point-de-Hongrie et Thècle de la ronce, ainsi qu'aux vipères et pipits des arbres.

Le sauvetage du duc n'a cependant pas arrêté le déclin d'insectes plus répandus: papillons et abeilles dont les gens remarquent leurs absences dans leurs jardins.

Ces disparitions sont motivées par «d'importantes décisions au niveau politique sur les programmes agroenvironnementaux, les néonicotinoïdes et d'autres pesticides, la pollution atmosphérique par l'azote et le changement climatique», dit Hoare, "et cela nécessite l'intervention des gouvernements sur les marchés mondiaux et des décisions sur nos mode de vie. Mais je dis avec passion que le Royaume-Uni a tout intérêt à avoir le duc de Bourgogne. La conservation basée sur les espèces offre de l'espoir et montre aux gens qu'ils ont le choix du genre de monde dans lequel ils souhaitent vivre."


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