Les forêts tropicales ont été altérées par l'homme depuis au moins 45,000 ans

La première étude de l'impact global des hommes sur les forêts tropicales par le passé a montré qu'ils ont modifié ces environnements pendant au moins 45000 ans. Cela contredit la supposition que les forêts tropicales étaient des environnements naturels vierges avant l'agriculture moderne et l'industrialisation.

L'étude, publiée dans le journal scientifique Nature Plants, a révélé que les hommes ont en fait eu un impact important sur de telles écologies forestières pendant des dizaines de milliers d'années, à travers des techniques allant du brûlage contrôlé de portions de forêts et de la gestion de la forêt à la gestion des plantes et des animaux et des coupes claires.

Les forêts tropicales ont été altérées par l'homme depuis au moins 45,000 ans
Photo: Credit: Patrick Roberts

Bien que de précédentes études avaient examiné les impacts humains sur des zones forestières spécifiques et des écosystèmes, il s'agit de la première étude à synthétiser des données du monde entier.

L'article a été publié par les scientifiques de l'Institut Max Planck pour la Science de l'Histoire de l'Homme, l'Université de Liverpool John Moores, University College de Londres, et l'Ecole Française d'Extrême-Orient. Il couvre trois phases distinctes d'impacts humains sur les forêts tropicales, approximativement en corrélation avec les activités de chasse et de de cueillette, des activités agricoles à petite échelle, et des implantation urbaines à grande échelle.


Les grands impacts des petits groupes de chasseurs-cueilleurs


Dans un lointain passé, des groupes de chasseurs-cueilleurs semblent avoir brûlé des zones de forêts tropicales, en particulier en Asie du Sud-est il y a pas moins de 45000 ans, lorsque sont arrivés les hommes modernes.

Il y a des traces similaires d'activités de brûlage de forêts en Australie et en Nouvelle-Guinée. En dégageant des parties de la forêt, les hommes créaient ainsi plus d'environnements de "bords de forêt", ce qui favorisait la présence de plantes et d'animaux qu'ils aimaient manger.

Il y a aussi des preuves, bien qu'encore débattues, que ces activités humaines ont contribué à l’extinction de la mégafaune forestière aux cours du pléistocène tardif (il y a environ entre 125000 et 120000 ans), comme le paresseux géant, le mastodonte des forêts, et de grands marsupiaux. Ces extinctions ont eu des impacts significatifs sur la densité des forêts, les distributions des espèces végétales, les mécanismes de reproduction des plantes, et les cycles de vie des forêts, qui ont persisté jusqu'à nos jours.


Cultiver la forêt


La plus ancienne trace d'agriculture dans la forêt tropicale a été trouvée en Nouvelle-Guinée, où les hommes se servaient en ignames, bananes et taros au cours de l'Holocène inférieur et moyen (il y a 10000 ans). Les premiers efforts agricoles dans les forêts tropicales, complétés par la chasse et la cueillette, ont eu des conséquences significatives.

Les hommes ont domestiqué les plantes et animaux de la forêt, comme la patate douce, le piment, le poivre noir, la mangue, la banane et les poulets, altérant les écologies forestières et contribuant de manière significative à la cuisine mondiale actuelle.

En général, lorsque des groupes employaient des stratégies agricoles dans les forêts tropicales indigènes reposant sur les végétaux et animaux, cela n'entrainait  pas de dommages significatifs ou durables sur l'environnement. "En effet, la plupart des communautés entrant dans ces habitats avaient initialement une faible densité de population et semblent avoir développé des systèmes de subsistance qui étaient en phase avec leur environnement particulier" rapporte le Dr Chris Hunt, de l'Université John Moore de Liverpool, et co-auteur de l'étude.

Cependant, avec l'augmentation de la culture intensive, en particulier lorsque des pratiques agricoles externes ont été introduites dans les forêts tropicales et les milieux insulaires, les effets sont devenus moins bénins.

Lorsque les agriculteurs ont apporté du millet perlé et du bétail dans les zones de forêts tropicales de l'Afrique occidentale et centrale il y a environ 2 400 ans, il y a eu une érosion importante des sols et du brûlage forestier. De manière similaire, en Asie du sud-est, de grandes portions de forêts tropicales ont été brûlées et nettoyées il y a 4000 ans avec l'arrivée de la culture du millet et du riz.

Ainsi, par exemple, l'augmentation de la demande en huile de palme de nos jours a conduit à une sévère coupe des forêts tropicales pour faire place aux plantations de palmier. "Ces pratiques, qui induisent une déforestation rampante, réduisent la biodiversité, entrainent l'érosion des sols, et rendent les paysages plus sensibles au déclenchement de feux sauvages" note Hunt.


Des villes étendues dans la jungle.


On a longtemps pensé que les forêts tropicales étaient des «déserts verts» ne convenant pas à l'habitation humaine. Cependant, de récentes découvertes à l'aide de nouvelles technologies ont montré que d'anciens peuples avaient créé de vastes implantations urbaines dans ces habitats (voir à ce sujet les articles: Polémique sur le peuplement préhistorique du bassin de l'Amazone), et Des centaines de géoglyphes sous la forêt amazonienne).

Des nouvelles données, comprenant des études faites avec la cartographie avec un LiDAR (Light Detection and Ranging) pénétrant la canopée, ont révélé des implantations humaines dans les Amériques et en Asie du sud-est à une échelle que l'on avait pas imaginé jusqu'à présent.

"En effet, de vastes réseaux d'implantation dans les forêts tropicales de l'Amazonie, de l'Asie du Sud-Est et de la Mésoamérique ont clairement persisté bien plus longtemps dans ces environnements que les récentes implantations industrielles et urbaines dans notre monde moderne" ajoute le Dr Patrick Roberts de l'Instut Max Planck pour la Science de l'Histoire Humaine, et auteur principal de l'article.

Des leçons peuvent être tirées sur la façon dont les anciens centres urbains ont géré les défis environnementaux auxquels les villes modernes sont à nouveau confrontées aujourd'hui dans ces régions. L'érosion des sols et l'échec des systèmes agricoles nécessaires pour nourrir une importante population sont des problèmes rencontrés par de  nombreux grands centres urbains, du passé et du présent.

 Dans certains régions mayas, les populations urbaines "jardinaient" la forêt en plantant une variété de cultures vivrières complémentaires dans et autour de la forêt existante, au lieu de la raser (voir l'article: Les forêts nourricières: clés du succès de la civilisation Maya).

D'un autre côté, d'autres groupes semblent avoir surmené leurs environnements locaux en déforestant et en faisant la monoculture de plantation de maïs, ce qui, en combinaison avec le changement climatique, a entraîné une baisse spectaculaire de la population.


Une autre découverte intéressante est que les anciennes villes dans les forêts montrent la même tendance à l'étalement, comme le recommandent les architectes des villes modernes dans ces zones.

Dans certains cas, ces larges franges urbaines semblent avoir fourni une sorte de zone tampon, aidant à protéger les centres urbains des effets du changement climatique et apportant la sécurité alimentaire et l'accessibilité.

"La diversification, la décentralisation et "l'urbanisme agraire" semblent avoir contribué à la résilience globale" déclare le Dr Damian Evans, co-auteur de l'article.
 
Ces anciennes banlieues forestières sont étudiées aujourd'hui comme modèles potentiels de durabilité pour les villes modernes.


Des leçons pour l'avenir.


Les données mondiales compilées pour cet article montrent qu'un écosystème de forêt tropicale vierge et intact n'existe pas, et n'a pas existé depuis des dizaines de milliers d'années.

Il n'y a pas d'environnement forestier idéal pour lequel les conservateurs modernes peuvent se référer lorsqu'ils fixent des objectifs et élaborent une stratégie pour les efforts de conservation des forêts. Au contraire, une compréhension de l'histoire archéologique des forêts tropicales et de leur manipulation passée par les hommes est cruciale pour informer les efforts de conservation modernes.

Les chercheurs recommandent une approche qui valorise la connaissance et la coopération des populations indigènes qui vivent dans les forêts tropicales. "Les peuples traditionnels et indigènes, dont les systèmes de production et de connaissances des ancêtres sont lentement décodés par les archéologues, devraient être perçus comme faisant partie de la solution et non comme faisant partie du problème du développement durable des forêts tropicales" déclare Roberts.

Les chercheurs également l'importance de diffuser l'information acquise en archéologie à d'autres disciplines. En travaillant ensemble, ces groupes peuvent aider à établir une meilleur compréhension des environnements des forêts tropicales et savoir comment mieux les protéger.



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