Des anciennes graines de fève sur un site préhistorique pourraient avoir un impact sur les cultures actuelles

Se pourrait-il que six toutes petites graines vieilles de 14000 ans puissent améliorer la façon dont le monde mange aujourd'hui ?

Une minuscule découverte sur le lieu d'un campement préhistorique (la terrasse de la grotte el-Wad du Mont Carmel) dans le nord d'Israël, a apporté un gros indice au sujet d'un mystère qui déconcerte les scientifiques depuis des années; et qui pourrait s'avérer importante pour la santé et la diversité des cultures dans le monde.

Après une étude poussée, il s'est avéré que ces graines sont les ancêtres sauvages de Vicia faba, connue sous le nom de fève.

Des anciennes graines de fève sur un site préhistorique pourraient avoir un impact sur les cultures actuelles


La fève est considérée par l’organisme Crop Trust ( une organisation internationale qui œuvre pour préserver la diversité agricole à long terme) comme l'une des cultures les plus importantes dans certaines parties du monde.

La santé de la fève est une question importante même dans les endroits où elle est peu consommée, car c'est le fixateur naturel d'azote le plus efficace connu en l'agriculture.


Les ancêtres sauvages d'une culture possèdent des informations importantes sur la façon de rendre les variétés modernes domestiquées plus résistantes à la maladie, la sécheresse, et autres effets dévastateurs du changement climatique.

Mais les traces d'un ancêtre sauvage de Vicia faba, longtemps présumé éteint, se sont révélées totalement insaisissables... jusqu'à el-Wad. Les six graines, chacune mesurant environ 5mm de long, ont été trouvées par la paléobotaniste Valentina Caracuta; elle a publié ses découvertes dans Scientific Reports en novembre 2016.

Caracuta a trouvé les graines dans les premiers niveaux d'une habitation natoufienne en cours de fouille. Les natoufiens étaient des chasseurs-cueilleurs du Proche Orient entre 13000 et 970 avant l'Ere Commune.

Caracuta et Elisabetta Boaretto, directrice du DANGOOR Research Accelerator Mass Spectrometry Laboratory de l'Institut des Sciences Weizmann à Rehovot en Israël, ont fait subir divers tests aux graines: les mesurant avec le CT-scan, analysant la longueur de leur hile (cicatrice que porte une graine au point où elle était attachée à la plante) et de leur radicule, et enfin, les réduisant en de minuscules piles de graphite afin de pouvoir les dater.

Des anciennes graines de fève sur un site préhistorique pourraient avoir un impact sur les cultures actuelles
Scan 3D des fèves sauvages par Jeremie Silvent.

A la fin, Boaretto et Caracuta ont conclu que les graines faisaient bien parti de l'espèce Vicia Faba, et qu'elles avaient environ 14000 ans. 
Comme les fèves n'ont pas été domestiquées jusqu'à il y a un peu plus de 10.000 ans, et que les natoufiens ne cultivaient pas, il était clair que les graines étaient les fèves sauvages tant convoitées et perdues depuis longtemps.

"Maintenant nous savons" dit Boaretto, "qu'au Mont Carmel, il y avait des fèves naturelles".


Une réponse globale.


La découverte a déclenché une réaction en chaîne d'intérêt dans le monde entier. Les chercheurs du Crop Trust de Bonn ont eu une discussion animée à ce sujet après la parution de l'article.

Avec un financement de 50 millions de dollars du gouvernement norvégien, le Crop Trust a lancé un projet de 10 ans visant trouver, collecter, évaluer et reproduire les parents sauvages de 29 céréales vitales, comprenant le riz, le millet, les pommes, l'aubergine et l'avoine.

La fève est un aliment important au Moyen Orient, dans l'ouest de l'Asie et en Chine, en Inde et des parties de l'Afrique. Mais, selon le chef de projet du Crop Trust, Hannes Dempewolf, "elle a rapidement été écartée de la liste des espèces avec lesquelles nous pourrions travailler, car nous ne savions pas qu'elles étaient et ou étaient les espèces sauvages".

La découverte d'el-Wad ne contribue pas directement au projet relatif aux espèces sauvages, étant donné que les spécimens retrouvés n'étaient pas vivants. Mais, ajoute Dempewolf, "c'est un grand pas en avant en ce qui concerne de savoir d'où la fève peut être originaire et a pu être domestiquée".

Cela pourrait aider les chercheurs à mieux cibler les sites où des spécimens vivants de fève sauvage pourraient être trouvés, et de tirer des conclusions sur les conditions dans lesquelles la légumineuse a pu gagner sa résilience environnementale.

Un spécimen vivant, de plus, serait encore plus bénéfique sachant qu'il pourrait être utilisé pour augmenter la rusticité des cultivars face aux défis environnementaux.

C'est ainsi que les producteurs ont pu prendre un ancêtre sauvage du riz et l'utiliser pour donner aux variétés de riz cultivées de nouveaux niveaux de résistance au virus du rabougrissement herbeux qui a dévasté des cultures en Asie.

Après des siècles, les raisins, la canne à sucre, le houblon, le cacao, l'orge, les pois chiches, les tomates, les lentilles et beaucoup d'autres cultures ont été croisés avec des ancêtres sauvages afin d'améliorer leur résilience contre les pucerons, la sécheresse, le gel, la salinité et la chaleur excessive.

Une étude de PricewaterhouseCoopers estime la valeur future potentielle des gènes de 32 plantes sauvages à 196 milliards de $.

C'est le genre de données qui sont convaincantes pour Fouad Maalouf, producteur de fèves qui travaille avec l'ICARDA (Centre international de recherche agricole dans les zones arides) au Liban.

Lorsqu'il a lu la découverte d'el-Wad, sa première pensée fut pour l'Orobanche crenata. Cette plante herbacée parasite a dévasté les cultures de fèves dans le nord et l'est de l'Afrique. Maalouf rapporte que bien que lui et d'autres éleveurs aient réussi à développer des cultivars qui offrent une certaine résistance à l'orobanche au Soudan, en Egypte et en Tunisie, leur efficacité n'était "que partielle et l'orobanche reste un danger. Si nous pouvons trouver de nouvelles ressources", en particulier une plante sauvage encore vivante, "les choses seraient différentes".



Une aide essentielle pour les producteurs


Historiquement, la fève est une plante facile à cultiver , grâce à son adaptation à la chaleur et au froid, aux inondations et à la sécheresse, aux basses et hautes altitudes. Malgré cela, les variétés de fèves cultivées ont souffert d'une foule de facteurs de stress météorologiques au cours de la dernière décennie: les effets de la hausse des températures, des parasites et des maladies comme celle des tâches de chocolat, sans parler de l'orobanche. Par exemple, l'Égypte qui était autrefois le principal producteur mondial de fèves, fait face maintenant à 70% de sa propre demande par des importations.

Cela soumet les consommateurs à des hausses de prix soudaines et les agriculteurs à des revenus incertains et fluctuants.

Grâce à la recherche sur les caractéristiques d'un petite collection de fèves stockées dans la banque génétique de l'ICARDA, prudemment reproduites, et par l'utilisation de méthodes d'agriculture de conservation telle que la perturbation minimale du sol, Maalouf et d'autres producteurs ont ainsi pu augmenter les rendements de fève sur des champs d'essai en Egypte de 20%. Mais ils s'attendent à ce que la bataille pour améliorer et protéger les fèves devienne de plus en plus ardue dans les années à venir. En dépit de son importance mondiale et de son apparente diversité (il y a près de 10000 variétés de fèves dans la seule banque génétique de l'ICARDA), notre connaissance à leur sujet est faible, se cantonnant souvent seulement à la couleur de la gousse, le poids des graines, voire les niveaux de résistance à des choses comme la maladie de la rouille.

"Nous ne pouvons pas filtrer tout ce matériel; cela revient cher et est inefficace," dit Maalouf, ajoutant que les méthodes comme le FIGS ( Focused Identification of Germplasm Strategy / Stratégie d'identification ciblée du germoplasme) peut être utilisée pour sélectionner des traits spécifiques.


Mais que ce passera-t-il si nous pouvons obtenir de la diversité depuis des parents sauvages ?


Une nette amélioration... Cela aiderait non seulement les cultures destinées à l'alimentation, mais aussi celles utilisées pour la fixation de l'azote. Les agriculteurs ajoutent souvent des engrais azotés aux champs épuisés, mais cela peut avoir des répercussions dévastatrices sur la qualité de l'eau et les niveaux d'émissions de gaz à effet de serre. En alternant les cultures de céréales avec celles des fèves, les agriculteurs minimisent les dégradations environnementales, améliorent les niveaux d'azote dans le sol, augmentent les rendements des autres cultures jusqu'à 21%, et améliorent aussi la qualité des protéines dans ces plantes, selon Maalouf.

Il fait remarquer qu'au cours des 30 dernières années, l'Australie, qui n'est pas un pays traditionnel pur la culture de fève, en a planté plus de 30000 hectares afin de créer un système de cultures viable. Il s'attend à ce que d'autres pays suivent l'exemple.

Si un ancêtre sauvage de la fève peut être trouvé vivant quelque part, il serait possible pour les producteurs de trouver la meilleure façon d'améliorer la qualité des fèves, et de façon plus fiable, d'autant plus que ce que Maalouf appelle des maladies "imprévisibles" commencent à augmenter avec le changement climatique.

D'après Boaretto, "nous ne savons pas si elle s'est réellement éteinte. Nous devons chercher. En faisant plus de fouilles, nous devrions trouver plus d'endroits". A la mention de tous ces possibilités, Maalouf s'est enthousiasmé: "cela serait une très bonne chose pour l'humanité".


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