Les scientifiques ont longtemps craint la rétroaction climatique: maintenant, c'est en train d'arriver

À un moment où une énorme bouffée d'incertitude a été injecté dans le projet global pour arrêter le réchauffement de la planète, les scientifiques viennent tout juste de relever un peu plus les enjeux.

Dans une importante nouvelle étude publiée dans le journal Nature, pas moins de 50 auteurs du monde entier ont documenté un soi-disant "feedback" du système climatique (ou rétroaction climatique) qui, disent-ils, pourrait augmenter considérablement le réchauffement climatique au cours des prochaines décennies.

Les scientifiques ont longtemps craint la rétroaction climatique, maintenant, c'est en train d'arriver

Ce feedback concerne les sols de la planète, qui représentent un immense dépôt de carbone du fait des plantes et des racines qui y poussent et s'y décomposent, dans de nombreux cas sur de vastes périodes de temps (les plantes absorbent le carbone de l'air par la photosynthèse et l'utilisent pour alimenter leur croissance).

Depuis longtemps, on craignait, alors que le réchauffement augmente, que les microorganismes vivants dans ces sols réagiraient naturellement en augmentant leur taux de respiration, un processus qui libère à son tour du dioxyde de carbone ou du méthane, engendrant des gaz à effet de serre.

C'est cette préoccupation que la nouvelle étude valide: "Notre analyse fournit un support empirique pour la préoccupation de longue date sur le fait que l'augmentation des températures stimule la perte de carbone du sol vers l'atmosphère conduisant à un rétroaction positive sur le carbone du climat qui pourrait accélérer le réchauffement planétaire au cours du 21ème siècle".

Cela signifierait que même les meilleurs efforts des hommes pour réduire leurs émissions seraient insuffisants, simplement parce qu'il y a une autre source d'émissions tout autour de nous.


Une compilation de plusieurs dizaines d'études


"En prenant cette perspective globale, nous sommes capables de voir qu'il y a une rétroaction, et ce sera massif" ajoute Thomas Crowther, chercheur du Netherland Institute of Ecology et directeur de la recherche publiée.

Cette nouvelle étude est une compilation de 49 études empiriques, examinant les émissions de carbone du sol à partir de parcelles de recherches tout autour du monde.

Les différentes études ont donné des résultats variables, dont certains cas où les sols séquestraient du carbone au lieu d'en libérer. Cependant, les chercheurs insistent sur le fait qu'il y avait un modèle global qui était "prévisible": les pertes de carbone dans le sol ont généralement tendance à mesurer le réchauffement d'une région et à montrer comment était l'épaisseur de la couche supérieure du sol.

Le document a donc constaté que les pertes les plus importantes étaient dans les régions arctiques, où les sols se réchauffent rapidement et où ils sont aussi assez épais; cependant, plus bas sous les latitudes moyennes, les sols perdent aussi du carbone.


55 billion de tonnes de carbone libérés d'ici 2050


L'article extrapole donc ces découvertes à l'échelle du globe, constatant que d'ici l'an 2050, la planète pourrait voir 55 billion de tonnes de carbone (qui se transformeront en 200 milliards de tonnes de dioxyde de carbone) se libérer des sols.

C'est ce qui arrivera si nous continuons avec un scénario "habituel" des émissions mondiales de gaz à effet de serre et accompagnant le réchauffement. "C'est dans le même ordre de grandeur que si nous avions un immense Etats-Unis sur la planète" ajoute Crowther.

Le monde a moins de 1.000 billion de tonnes de dioxyde de carbone restant à émettre afin de préserver une chance raisonnable de tenir le réchauffement de la planète sous les 2° Celsius, un objectif largement accepté, mais les émissions des sols pourraient contribuer à réduire ce budget du carbone.

Crowther soutient que jusqu'à présent, la communauté scientifique a souvent laissé ce potentiel feedback climatique des sols de la planète hors de leurs calculs car ce n'était pas suffisamment compris. "L'ampleur totale de ce feedback a été enlevé de plusieurs modèles du système terrestre, les modèles qui informent, en raison de sa grande incertitude" dit-il. De plus, il ajoute qu'alors que l'étude a lourdement étudié l'Arctique et donc, les régions du pergélisol (un immense dépôt du carbone planétaire), elle n'a prit en compte que les émissions de la couche supérieure du sol, soit environ les 10 premiers centimètres d'épaisseur.

Donc, si le réchauffement libère le carbone des couches plus profondes du pergélisol (une crainte majeure), alors les chiffres annoncés ci-dessus pour les émissions des sols seraient trop petits. Il y a, bien sûr, un contrepoids potentiel à cela: même si la surface de la terre perd du carbone des sols, il semble aussi qu'il en soit séquestré en raison d'une croissance accrue de la végétation qui est fertilisée.... par plus de dioxyde de carbone dans l'atmosphère qui améliore la photosynthèse.


La croissance de la végétation sera-t-elle suffisante pour limiter les pertes de carbone ?


Cependant Crowther ne pense pas que cela suffira à compenser les pertes de carbone des sols. Une récente étude à constaté que dans la dernière décennie, la croissance des plantes avait effectivement séquestré plus de dioxyde de carbone, mais, comme l'a dit l'auteur principal: "C'est une bonne nouvelle pour le moment. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que cela continue."

Un autre chercheur qui s'est concentrée sur les sols de l'Arctique, l'expert en pergélisol Ted Schuur de l'Université Arizona-Nord, est d'accord avec Crowther sur la croissance des plantes, suggérant que même si les modèles prédisent qu'elles peuvent compenser les pertes de sol, les études sur le terrain comme celles qui sont résumées ici ne soutiennent pas cela: "Cet impressionnant travail souligne encore plus les grandes pertes de carbone du sol sous les latitudes élevées" dit-il, "ces pertes annulent les gains prévus dans le carbone du sol sous d'autres températures et écosystèmes subtropicaux"

Schurr a ajouté que sachant que l'étude ne considère que les 10 premiers centimètres de sol des régions arctiques, "nous pourrions considérer que c'est une perte minimale étant donné qu'il y a beaucoup de carbone en-dessous".

"Les auteurs soulignent à juste titre le manque d'informations provenant des écosystèmes tropicaux, en fait l'hémisphère sud n'est pas représenté. Nous avons donc besoin de plus de données" ajoute Charles Rice, professeur en microbiologie du sol à l'Université d'Etat du Kansas qui a souligné plusieurs limites dans l'article. Mais Rice a néanmoins conclu que "les hautes latitudes sont particulièrement vulnérables et sont une grande source de CO2 libérables dans l'atmosphère. Cela souligne le besoin de prendre des mesures précoces."


Le problème est dans le sol.... la solution aussi ?


"L'étude renforce l'hypothèse selon laquelle les sols relâcheront une quantité substantielle de carbone en raison de la hausse des températures" ajoute Jonathan Sanderman, scientifique du Woods Hole Research Center qui étudie les changements du sol dans le cadre du changement climatique. "C'est vraiment critique, car si la libération supplémentaire de carbone n'est pas contrebalancée par une nouvelle absorption du carbone par les plantes, alors cela va exacerber le changement climatique et accroître l'urgence de réduire immédiatement les émissions de gaz à effet de serre". 

Mais Sanderman a également noté des études qui ont suggéré qu'une meilleure gestion des sols agricoles pourrait séquestrer de grandes quantités de carbone, peut-être suffisamment pour contrebalancer les pertes estimées dans la nouvelle étude: "alors que cet article nous montre comment les sols font partie du problème, il est important de noter que les sols peuvent aussi faire partie de la solution" conclue-t-il.



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