Avant de diversifier l'agriculture, il faut d'abord diversifier les questions que nous posons

Il n'est pas rare que la "sécurité alimentaire" fasse l'objet de rassemblements et de conférences tout autour du monde, plus particulièrement depuis la hausse des prix des aliments en 2007-2008. Le plus souvent, les discussions s'articulent autour des question suivantes: Comment pouvons-nous "nourrir le monde" et avec quelles technologies ? Comment pouvons-nous modifier les approches actuelles afin de maintenir les rendements agricoles ?

Avant de diversifier l'agriculture, il faut d'abord diversifier les questions que nous posons
Le potentiel de l'agroécologie n'est pas seulement reconnu et vanté par la littérature scientifique, mais aussi par des groupes d'agriculteurs et des mouvements sociaux dans le monde entier. (Photo: Pixabay/CC0)

Pendant ce temps, des groupes d'agriculteurs et des organisations de la société civile se sont rassemblés en Roumanie lors du Forum européen Nyéléni pour la souveraineté alimentaire (26 au 30 Octobre 2016); et il est réconfortant et rassurant de noter que "nourrir le monde" n'est pas au sommet de l'ordre du jour !

Le problème clé avec ces question est qu'elles reposent sur la supposition que les systèmes alimentaires de type industriel sont la seule voie à suivre. Pourtant, ce sont ces monocultures à fortes intensités d'intrants et ces parcs d'engraissement à l'échelle industrielle qui ont entrainé une série d'impacts dévastateurs; depuis les pertes de la biodiversité menaçant 35% des cultures mondiales dépendant de la pollinisation, jusqu'à la dégradation de 20% des terres mondiales, et les 30% des émissions mondiales de gaz à effet de serre résultant des produits alimentaires et agricoles...


L’uniformité au cœur des ces systèmes agricoles, et leur dépendance aux engrais chimiques, aux pesticides et l'utilisation préventive d'antibiotiques, conduit systématiquement à des résultats négatifs et des vulnérabilités.


Comment l'agriculture industrielle peut-elle alors se réinventer comme solution ? Décortiquer la politique des systèmes alimentaires est nécessaire pour répondre à cette question.

Dans un récent rapport, ‘From Uniformity to Diversity’ (de l'uniformité à la diversité), International Panel of Experts on Sustainable Food Systems (IPES-Food  - Panel International d'Experts sur les Systèmes Alimentaires Durables) a identifié le "pouvoir pour fixer les termes du débat" comme étant l'une des clés de verrouillage pour garder l'agriculture industrielle en place.
Par exemple, demander comment nous pouvons "nourrir le monde" est en fait une réflexion des acteurs du pouvoir dominant pour garder l'agenda focalisé sur l'agriculture industrielle.

Cet encadrement nous prédispose à aborder la question en termes de volumes de production globale gourmande en énergie, de produits agricoles nutritivement pauvres, c'est-à-dire ce que l'agriculture industrielle se propose de fournir.

Pendant ce temps, on écarte un certain nombre de questions clés sur la pauvreté et l'accès, les causes profondes des régimes alimentaires inadéquats, et sur la question cruciale de savoir où et par qui des aliments supplémentaires doivent être produits.


La façon dont nous mesurons le succès est aussi une question clé, et très politique.


Les indicateurs de performance agricole sont trop étroitement définis (par exemple le rendements de cultures spécifiques, la productivité par travailleur), et cela empêche de prendre en compte bon nombre d'avantages d'autres systèmes diversifiés, comme le total élevé des rendements, la teneur élevé en éléments nutritifs de ces rendements, la réduction des risques pour la santé, la résilience aux chocs, les fournitures de services écosystémiques, la grande efficacité des ressources, et la création d'emplois.

La dernière évidence suggère que les systèmes agroécologiques diversifiés réussissent réellement là ou les systèmes actuels échouent, notamment en conciliant des préoccupations telles que la sécurité alimentaire, la protection de l'environnement, l'adéquation nutritionnelle et l'équité sociale.

Une étude sur 30 ans montre que les rendements biologiques ont été équivalents aux rendements traditionnels, et 30% supérieur lors des années de sécheresse.

L'efficacité des ressources s'est avérée être de 2 à 4 fois plus élevée dans les petites exploitations agroécologiques. De plus, les systèmes biologiques accueillent 30% d'espèces en plus et 50% en plus de biodiversité par rapport aux les exploitations classiques.

Le potentiel de l'agroécologie n'émerge pas seulement de la littérature scientifique. Des groupes d'agriculteurs et des mouvements sociaux du monde entier témoignent de plus en plus de ses avantages.


 Un atelier récent de la CIDSE (Coopération Internationale pour le Développement et la Solidarité - alliance de 17 ONG catholiques) "Climate and Agriculture: Harvesting People’s Solutions for Sustainable Food Systems” (Climat et agriculture: récolter les solutions des hommes pour de systèmes d'alimentation durable), a entendu un certain nombre de ces témoignages, depuis les succès des reproductions participatives de graines et des écoles pour agriculteurs aux Philippines jusqu'à la revitalisation des sols improductifs en Zambie, en passant par la création d'emplois et de régénération des espaces urbains au Brésil.

D'autres expériences ont été partagées à cette semaine du Nyeleni European Food Sovereignty Forum.

Plutôt que de demander comment nous pouvons "nourrir le monde", ceux qui se sont réunis en Roumanie, demandent comment nous pouvons améliorer les conditions sociales dans les systèmes alimentaires et agricoles, comment nous pouvons sécuriser l'accès aux ressources naturelles, et quelles politiques publiques et processus doivent régir ces systèmes.

En d'autres mots, des événements comme ce Forum de Nyeleni permettent aux gens de reprendre le pouvoir et de fixer les termes du débat. Cela pourrait être l'avancée la plus importante.

Comme décrits ci-dessus, les systèmes actuels seront maintenus en place dans la mesure où ils sont définis et établis selon ce que l'agriculture industrielle est destinée à délivrer, au détriment des nombreux autres résultats qui comptent vraiment pour nos sociétés.

Les agriculteurs, les mouvements sociaux, les chercheurs et les responsables politiques doivent donc continuer de remettre en question le récit de "nourrir le monde" et mettre les questions qui comptent vraiment en tête de l'ordre du jour.

Voici le lien du premier rapport majeur d'IPES-Food:

L'article original, en anglais, est d'Emile Frison, expert en conservation et biodiversité agricole.

Source:

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